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"Je n'oublie pas d'où je viens" : le portrait de Joseph Arakel

Par M.LL.

"Je suis à la fois déraciné et intégré ici. J'aime Marseille, je m'identifie à son multi-culturalisme." Arrivé dans la cité phocéenne lorsqu'il avait six mois, Joseph Arakel a grandi, socialement et professionnellement, à Marseille. Il y a aussi renco...

"Je suis à la fois déraciné et intégré ici. J'aime Marseille, je m'identifie à son multi-culturalisme." Arrivé dans la cité phocéenne lorsqu'il avait six mois, Joseph Arakel a grandi, socialement et professionnellement, à Marseille. Il y a aussi renco...

Photo Gilles Bader

Marseille

Fondateur de Tempo One, à la tête de plus de 700 salariés, Joseph Arakel est président de la Banque alimentaire régionale. Une manière d'exprimer, encore, sa fibre sociale et solidaire.

"Je n'oublie pas d'où je viens." C'est souvent ce que prononcent ceux qui ont réussi pour se donner bonne conscience. Pour romancer, aussi, une enfance pourtant loin de la misère de Victor Hugo. Chez Joseph Arakel, il n'en est rien. Avoir bonne conscience ne l'intéresse guère et ses actes, qu'il préfère aux mots, n'ont comme seul sens leur finalité. Et lorsqu'il évoque son histoire, il ne la mélodramatise pas.

D'un père syrien et d'une mère arménienne, qui se sont connus en Turquie, Joseph Arakel est le dixième d'une fratrie de onze enfants dont il n'a pas connu les trois premiers. Avec sa sœur jumelle, il est né le 17 juin 1951, à Madagascar, ancienne colonie française où ses parents, d'abord chassés de Turquie, avaient été délocalisés après un exode en Syrie et au Liban. "Ils étaient arrivés à Marseille, à Mazargues, ils y sont restés deux ou trois mois avant d'être déplacés à Madagascar. J'y suis né mais quand j'avais six mois nous sommes revenus à Marseille."

À Plan-de-Cuques, plus précisément, où son père avait installé la famille. "Il avait acheté un modeste cabanon de trois chambres, c'était moins cher d'être hors de Marseille." Engagé dans l'armée française, il est mort peu après en Indochine, à quelques mois de la fin des combats. C'est donc sans lui, mais avec sa mère, sa grand-mère et ses sept frères et sœurs, que Joseph Arakel a grandi. "Ma mère vivait de la petite pension de mon père. Sa priorité, c'était que la maison soit bien tenue et que ses enfants soient propres et nourris. Mais on était dix, sans eau chaude et, quelquefois, la nourriture manquait. Certains jours, les repas étaient plus rationnés, mais je n'avais ni froid, ni faim. C'était compliqué parfois, mais c'étaient les conditions de l'époque."

De TTR à GTRA

Beaucoup auraient ressenti l'envie de prendre une revanche sur cette vie. Pas lui. "Ce n'était pas l'opulence, mais il y a pire, des gens n'ont rien à manger et vivent dans la rue. C'était une enfance assez classique, à la campagne, dans les vergers de cerisiers et de poiriers. Quand j'en parle, c'est un souvenir ni heureux, ni malheureux. Cette condition modeste m'a simplement fait me dire que je voulais m'élever, me donner les moyens d'avoir un bien-être que je n'avais pas eu." Il l'a fait. Et, pour plonger dans ses souvenirs, il nous reçoit, chemise blanche et veste de costume impeccable, dans un grand bureau du dernier étage en centre-ville de Marseille, siège d'Oasis, promoteur immobilier qu'il a repris. Une réussite qu'il a construite pas à pas et qui n'a pas été linéaire.

Elle a commencé le 1er janvier 1974 au volant d'une camionnette, une Peugeot J7 acquise avec la volonté de se lancer dans la livraison. Il tape à la porte de Calberson (Géodis), pour travailler comme sous-traitant. "La livraison, pour moi, c'était la liberté, où c'est la valeur de ce qu'on produisait qui fait le chiffre d'affaires. Je gagnais mieux que si j'étais salarié, même avec toutes les contraintes du travailleur indépendant."

Et ça marche. Sa société Tous transports rapides (TTR) se développe et gagne de nouveaux contrats. Joseph Arakel recrute son frère puis 170 salariés, sa flotte, répartie entre Nice, Toulon, Marseille, Avignon et Montpellier, dépasse la centaine de camions. Clap de fin en 1999. "Plusieurs commissionnaires ne m'ont pas payé. On parlait d'une somme astronomique, 1,3 milliard de centimes (en anciens francs, environ 3 millions d'euros aujourd'hui). J'étais davantage préoccupé à payer mes salariés, le carburant, les loyers des camions qu'à encaisser mes factures. Je me suis retrouvé seul et j'ai perdu la boîte. C'était un deuil, je perdais mon bébé."

Mais Joseph Arakel croit en la destinée. Et la proposition de TNT n'a fait que renforcer cette foi : directeur national du transport, avec la mission de redresser une situation logistique en péril. "Un poste en or, bien rémunéré. En trois mois, j'avais tout remis en ordre. J'étais la providence pour TNT, mais TNT a été la providence pour moi."

Dans la foulée, en 2008, sur conseil de Continental, Joseph Arakel crée sa société de logistique, la Générale de transport rapide automotive (GTRA), et peut compter sur le manufacturier pneumatique pour être son premier client. En un an, son chiffre d'affaires atteint 5 millions d'euros. Aujourd'hui, GTRA est une filiale du groupe Tempo One qui en compte 25 partout dans le monde, plus de 700 salariés et 233 millions d'euros de chiffre d'affaires...

Une grâce à Notre-Dame-de-la-Garde

"Je n'oublie pas d'où je viens", a pensé le Marseillo-Syro-Arménien, alors à la tête d'un empire (désormais transmis à son fils), qui crée, en 2010, PlusAvenir. "C'est un fonds de dotation qui vient en aide aux personnes ayant subi un accident de la vie. C'est un cercle dans lequel chacun, qu'il soit banquier, médecin, chef d'entreprise, apporte son expertise gratuitement."

PlusAvenir s'est décliné : PlusAvenirLePatronage quand Joseph Arakel a relancé les patronages pour apporter un soutien scolaire aux enfants, PlusAvenirHabitat pour héberger des SDF dans des containers aménagés ou encore PlusAvenirConnect pour relier tout le monde associatif. "C'est une application extraordinaire qui regroupe 120 associations labellisées et les met en lien en fonction d'un besoin exprimé." En novembre 2022, Joseph Arakel a aussi repris Oasis, "avec l'objectif d'apporter des réponses aux primo-accédants et une réponse au mal-logement ou encore pour proposer des constructions éco-modulables pour les travailleurs pauvres qui dorment dans leur voiture".

Une volonté résolument solidaire qui, si elle a toujours existé, a pris une autre ampleur un après-midi de 1992. "J'étais à Notre-Dame-de-la-Garde pour prendre un peu de hauteur et j'ai vécu quelque chose de très spécial : une grâce mariale. Je suis tombé sur la prière de Saint-François d'Assise qui m'a beaucoup ému et j'ai ressenti quelque chose de puissant. La découverte de la foi. J'étais croyant, mais je suis devenu pratiquant. Ça a changé beaucoup de choses dans ma relation avec les autres.", raconte Joseph Arakel dont la grand-mère était très pieuse ("elle priait le chapelet tous les jours") mais qui a grandi dans une famille où chacun était très libre religieusement.

Cet altruisme, Joseph Arakel, époux de Chantal depuis plus de quarante-quatre ans, père de Marjorie, Marlène et Olivier, l'entretient à la Banque alimentaire départementale et régionale, dont il est le président. "J'avais encore besoin de m'exprimer, sans appétence financière. Je veux apporter des réponses à des problématiques sociales, solidaires, écologiques... Aujourd'hui, on est tous interdépendants et il faut s'entraider. On ne peut pas ignorer quelqu'un dans la difficulté." Sa volonté : que personne n'ait faim. Car il n'a pas oublié d'où il vient.

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